A la CFE-CGC, nous accompagnons beaucoup de salariés en souffrance, en recherche de conseils ou pour des ruptures conventionnelles ou des transactions dans le cadre de procédures disciplinaires.
On pourrait dire qu’au syndicat nous ne voyons que « les trains qui arrivent en retard » ; les gens viennent en effet nous voir que quand ils ont des problèmes, et parfois c’est un peu tard… Heureusement, beaucoup d’autres salariés, vivent des moments heureux ou simplement normaux dans le cadre du travail.
Mais même s’ils sont moins nombreux, les cas douloureux sont révélateurs d’une évolution que nous ne pouvons pas accepter. L’entreprise veut chasser les « comportements inappropriés » et « non éthiques », elle doit donc s’appliquer ce qu’elle impose aux autres.
Une récente affaire nous inspire une réflexion sur son mode de fonctionnement et son processus décisionnel.
Au terme de 4 ans de procédure, Michelin vient d’être condamnée pour la troisième fois dans l’affaire qui l’opposait à une ex-salarié de Michelin Air Service (Arrêt de la Cour de Cassation, Chambre sociale, du 12 janvier 2022). La Cour de Cassation vient de rejeter le pourvoi de l’entreprise qui est donc condamnée définitivement pour « licenciement abusif, harcèlement moral et sexuel, et discrimination salariale ».
Nous nous réjouissons de l’issue favorable pour cette ex-collègue qui a vécu un enfer. De victime, elle était passée à coupable voire pire sous les arguments salissants des avocats de l’entreprise. Elle est complètement rétablie dans son intégrité et son droit. Elle a « simplement » au passage perdu la capacité d’exercer son métier et doit maintenant reconstruire sa vie après 9 ans de traumatismes et de descente aux enfers.
Pendant 5 ans, Michelin n’a rien fait et l’a laissée venir au travail avec la boule au ventre malgré un poste à hautes responsabilités (elle pilotait des avions !). Il-y-a là un défaut de prévention de la part de l’employeur alerté à maintes reprises et qui n’a pas voulu agir.
« C’est la posture de déni et de mépris de la sacrosainte entreprise locale d’envergure internationale à laquelle on ne s’attaque pas. On n’attaque pas Michelin qui s’entête et s’acharne à rester figée. » commente la victime de cette affaire. L’employeur tout puissant a-t-il seulement un instant imaginé le tort et la souffrance engendrés par son acharnement ?
Cette situation nous interroge d’autant plus que son cas n’est isolé ; il-y-en a eu d’autres et d’autres sont en cours… Alors, nous posons la question, qui prend ce genre de décisions ? Qui s’obstine au mépris du respect des personnes ou de la loi ? Quel est son impact sur le dialogue social et les relations au sein de l’entreprise avec des salariés de plus en plus méfiants, sans parler de l’image qui finira par en sortir ternie auprès du grand public et de la communauté financière.
A la CFE-CGC, nous nous battons pour la défense des salariés, la pérennisation de nos emplois et la qualité de vie au travail. La valeur créée ne se limite au « P » de « Profit » ; le « P » de « People » est tout aussi important car les personnes sont à la source de la création de valeur. Ces personnes qui, aujourd’hui, sont dans le doute et se tournent vers nous…
Nous lançons ici un appel à moins de certitudes, au dialogue et au respect des personnes.
L’entreprise MICHELIN vit un changement profond à plusieurs titres. Les figures historiques ne sont plus là pour garantir un équilibre humaniste. Les réorganisations internes mal gérées provoquent un sentiment d’incompréhension et de déjà vu qui démotive. Le COVID et le télétravail distendent les relations managériales, insuffisamment accompagnées.
Cette idée largement répandue que Michelin détient la Vérité vient contredire les messages d’autosatisfaction sur la libération de la Parole en interne. L’entreprise et ses dirigeants auraient bien besoin d’écouter un peu plus les remontées terrain.
La coopération dans un groupe est le fruit de deux dimensions complémentaires et indispensables : la cohérence et la cohésion. C’est sur ces points que le bât blesse :
Coté cohérence, combien de managers se retrouvent confrontés à des « injonctions contradictoires » et se gardent bien de se plaindre sous peine d’être taxés de faiblesse voire d’incompétence ? Certes, pour l’entreprise, il est plus simple d’exhorter à la responsabilisation (à laquelle nous adhérons par ailleurs) que de rompre l’ordre établi, pour permettre à chacun de connaitre les degrés de liberté et les limites et d’exprimer pleinement son talent.
Coté cohésion, un énorme travail reste à faire dans un environnement où le moindre écart à la pensée unique devient un casus belli, où la confrontation est aussitôt (et subtilement) assimilée à un conflit. Il nous semble sur ce point que le « speak-up » devrait être naturel. Nos dirigeants le promeuvent mais il n’émerge pas, c’est un symptôme du mal. Tout comme la « ligne éthique » de l’entreprise qui risque bien de se retourner contre elle, avec des processus pas toujours maîtrisés, des opérateurs insuffisamment formés, des circuits de décision discutables.
Harcèlement, tolérance 0. Oui, mais aussi pour l’employeur.
José Tarantini, Délégué Syndical Central, le 17 janvier 2022.
Bravo pour votre action auprès des salaries
Je vous souhaite beaucoup de courage dans les circonstances actuelles
Un retraité Michelin